_
_ Il est midi-soixante-deux sur le cadran digital de la grande tour d’aluminium. Au pied de l’édifice, sous le poids écrasant de sa hauteur, se tient la môme, le cœur épinglé sur ses rêves, palpitant d’espoir. Elle contemple le chaos qui s’élargit devant ses cils, en sorte de nuée lacrymale, qui serait à la fois la cause du drame, et son effet. L’effet du temps. L’effet de cette broutille délaissée qu’a été le destin. Il pleut sur la ville à cet instant, il pleut sur la planète, et les nuages qu’on essore ont des formes de chamallow. Il est midi-soixante-deux, l’heure inattendue, l’heure déguisée en guillotine. La pluie ne cessera que lorsqu’elle aura enseveli les hommes, lorsqu’elle aura lavé le monde, l’aura déshabillé de ses mauvaises herbes. Alors la môme s’enracine sous la grande tour d’aluminium, elle se voit dans ses vitres noires, et l’éclat sombre du verre se retrouve dans ses yeux, en une mise en abime sinistre. Les femmes crient, les bébés pleurent, les visages se déforment à en faire peur, les gouttes de pluie se changent en flammes et dévorent les arbres. Il ne restera bientôt plus rien de la ville, hormis la tour, désormais rougeoyante, et puis la môme, protégée par ses murs. Il n’y aura plus de soir, plus de matin, il est midi-soixante-deux, l’heure de la fin. L’heure de l’apocalypse. Le temps s’est arrêté. Les immeubles se tordent, s’effondrent, mais le crissement du verre n’est rien à côté de celui des rêves qui se brisent. La môme ne frissonne pas, elle attend. Elle attend que le ciel s’écroule, fracasse son crâne, disloque son squelette. Elle attend d’être une miette, pour se sentir enfin légère. Délivrée du poids d’exister. Il est midi-soixante-deux et même la nature rend les armes, dispersé en cendres encore fumantes. Et la tour dégringole, à son tour. Alors la môme ferme les yeux.
_
0 commentaires - ajouter un commentaire:
Enregistrer un commentaire