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C’est l’histoire d’un poisson rouge, d’une pousse de lierre vermillon et d’un vieil homme balayant la devanture d’une épicerie aussi basque que son nom de famille. Une histoire écarlate, brillante d’hémoglobine. C’est l’histoire d’un peu de dioxygène, d’un peu d’air qui traîne entre deux poumons, de branchies qui se soulèvent. C’est l’histoire d’une histoire, de choses et d’autres qui n’étaient pas sensées se rencontrer et qui finissent par signifier quelque chose, ensemble, réunies quelque part.
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L’histoire pourrait commencer par le poisson rouge, oui, la petite boule qui palpite sous l’eau, la nageoire tourbillonnante. Une chose pas plus grosse que le poing d’un bambin, persuadée que le monde n’existe pas au delà de son enveloppe cristalline. Un petit être vivant qui n’a pas vu la fissure en forme de ligne de vie sur le bord rond de sa vitrine.
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L’histoire pourrait ensuite évoquer la pousse de lierre grimpant sur les briques rousses. Cette intrépide qui se prend à grandir trop vite, et qui étire hardiment ses brindilles sur les lettres écaillées qui baptisent la porte de la boutique. Elle pourrait parler sans en avoir l'air des tâches brunes en forme de brûlure qui envahissent innocemment ses feuilles.
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L’histoire pourrait se terminer par le vieil homme, cette caricature d’octogénaire, résumé par sa peau fatiguée et ses dents étincelantes. Cette relique d’existence, appuyée sur son balai, songeant pour la onzième fois aux majuscules qu’il faudrait sérieusement penser à repeindre à l’entrée de son petit magasin. A l’eau du poisson qu’il faudrait changer. Aux lettres qu’il faudrait repeindre. A sa mémoire, qui devient plus transparente que le verre glacé du bocal. Quel bocal, au fait ?
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C’est l’histoire d’une brise fraîche qui secoue gentiment les stores de la devanture, du clapotis de l’eau, d’un bruissement de feuilles, de moustaches qui frémissent. L’histoire de trois vies qui existent simultanément et qui mourront d’un même souffle, d’une même seconde fatidique.
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C'est l'histoire d'un fait divers, d'une banalité. De trois mots imprimés dans un journal. D'un vide, qui porterait un nom.
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