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_-Ils dorment, leurs visages entrelacés. Leurs os sont déjà saillants, pourtant un proche pourrait encore les reconnaître, deviner la nuque arrondie de l’une, le menton fièrement proéminent de l’autre. Rien n’a changé sous leur peau, mais ils ne sont plus aujourd’hui que deux squelettes anorexiques, deux paires d’orbites vides, deux silhouettes démantibulées dans le creux d’une tombe, sous un cadre de marbre sur lequel quelqu’un a placé l’inscription « Ces deux là s’aimaient ».
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C’est Doucette qui succomba la première, un peu avant son heure. D’une seconde qui se sentit plus fatale que les autres, d’un instant tragique, immédiat et indolore. Le jour où les jambes maigrelettes de Doucette se dérobèrent sous elle, le talon de ses escarpins bon marché claqua sur le carrelage bicolore de sa petite cuisine. Un corps pâlichon étendu sur un quadrillage rouge et noir, quatre centilitres de citronnade au fond d’un verre à moutarde posé sur une table en liège, un néon mal remplacé qui grésillait en éclairant la scène, voici ce que découvrit Barthélémy une heure et vingt-deux minutes plus tard, le panier des courses sous le bras. On dit qu’il laissa alors les années vivre pour lui. Et qu’elles vécurent, s’étirèrent, se tordirent vers l’infini. Avant de finir par éteindre son souffle, un quatre juin, vers vingt-trois heures, un soir sans pleine lune, ni vent qui secoue les branches, un soir plutôt triste en définitive.
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Doucette fut mise en terre un samedi matin, sous un soleil morne et froid. Ce ne fut pas un bel enterrement, et il n’y eu pas foule. Ces deux là ne côtoyaient pas grand-monde, de toute façon. Barthélémy se trouvait au premier rang, la raie sur le côté, son veston noir bien boutonné, ses petites mains posées sur ses genoux, en une sorte de prière crispée, se répétant qu’il n’était pas fait pour cette chose écœurante qu’était l’amour. Il ferma ses paupières, et sous ses cils rejoua le film de son histoire. Sa rencontre avec Doucette, la fougue de leur premier baiser, l’ivresse de leurs désormais lointaines étreintes, il revit la canine mal alignée à ses voisines que découvrait son sourire imparfait, son sourcil gauche qui se fendait en accent circonflexe lorsqu’elle s’inquiétait, ses longs doigts graciles qui glissaient sur ses épaules, dans le temps. Tandis que le prêtre psalmodiait, il sentit son souffle parfumé, son odeur de cannelle et de riz au lait, entendit son rire de trompette, ses talons qui claquaient, il la revit boire sa citronnade quotidienne, farder un peu trop ses yeux, brûler les tartines le matin, trop saler les pâtes le soir, il rejoua les conversations vides qu’ils entretenaient, ressentit ce nœud que les années avaient progressivement resserré dans sa poitrine, et l’émerveillement qui l’avait peu à peu quitté lorsqu’il se réveillait à côté d’elle, et de sa fadeur, tous les matins. Il déplora en silence sa bêtise, le pétillement d’intelligence manquant à son regard, les études qu’elle lui avait interdit de reprendre, les amis qu’elle lui avait empêchés d’avoir, les promesses enflammées qu’ils s'étaient faites à vingt ans, et la cage barbelée qui avait pourtant remplacé sa vie, une vie terne, brûlante d’ennui. Il détesta une dernière fois ses ongles trop rouges, ses déshabillés de mauvaise main, ses fautes de français, ses moues insipides. Son sourire, sa voix, sa personne. Il maudit ce cercueil qu’on recouvrait de terre, ces bras qui l’étreignaient, ces regards mouillés, cette cérémonie lugubre qui lui avait valu ses dernières économies. Il sentit son corps en feu sous sa peau, et bien qu’il sût qu’il l’emporterait avec lui dans la tombe, il eut envie de crier la vérité.
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Car une goutte d’arsenic avait suffi. Une goutte, même pas de quoi altérer le goût de la citronnade. Une goutte seulement pour emporter cette vie inconsistante, cette poupée de chiffon, cette enveloppe de frustration qu’était Doucette. Frustration qu’il ressentit jusque dans son crime, facile, sans effort. Une goutte…
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Non, Barthélémy n’était pas fait pour cette chose écoeurante qu’était l’amour.
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C’est Doucette qui succomba la première, un peu avant son heure. D’une seconde qui se sentit plus fatale que les autres, d’un instant tragique, immédiat et indolore. Le jour où les jambes maigrelettes de Doucette se dérobèrent sous elle, le talon de ses escarpins bon marché claqua sur le carrelage bicolore de sa petite cuisine. Un corps pâlichon étendu sur un quadrillage rouge et noir, quatre centilitres de citronnade au fond d’un verre à moutarde posé sur une table en liège, un néon mal remplacé qui grésillait en éclairant la scène, voici ce que découvrit Barthélémy une heure et vingt-deux minutes plus tard, le panier des courses sous le bras. On dit qu’il laissa alors les années vivre pour lui. Et qu’elles vécurent, s’étirèrent, se tordirent vers l’infini. Avant de finir par éteindre son souffle, un quatre juin, vers vingt-trois heures, un soir sans pleine lune, ni vent qui secoue les branches, un soir plutôt triste en définitive.
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Doucette fut mise en terre un samedi matin, sous un soleil morne et froid. Ce ne fut pas un bel enterrement, et il n’y eu pas foule. Ces deux là ne côtoyaient pas grand-monde, de toute façon. Barthélémy se trouvait au premier rang, la raie sur le côté, son veston noir bien boutonné, ses petites mains posées sur ses genoux, en une sorte de prière crispée, se répétant qu’il n’était pas fait pour cette chose écœurante qu’était l’amour. Il ferma ses paupières, et sous ses cils rejoua le film de son histoire. Sa rencontre avec Doucette, la fougue de leur premier baiser, l’ivresse de leurs désormais lointaines étreintes, il revit la canine mal alignée à ses voisines que découvrait son sourire imparfait, son sourcil gauche qui se fendait en accent circonflexe lorsqu’elle s’inquiétait, ses longs doigts graciles qui glissaient sur ses épaules, dans le temps. Tandis que le prêtre psalmodiait, il sentit son souffle parfumé, son odeur de cannelle et de riz au lait, entendit son rire de trompette, ses talons qui claquaient, il la revit boire sa citronnade quotidienne, farder un peu trop ses yeux, brûler les tartines le matin, trop saler les pâtes le soir, il rejoua les conversations vides qu’ils entretenaient, ressentit ce nœud que les années avaient progressivement resserré dans sa poitrine, et l’émerveillement qui l’avait peu à peu quitté lorsqu’il se réveillait à côté d’elle, et de sa fadeur, tous les matins. Il déplora en silence sa bêtise, le pétillement d’intelligence manquant à son regard, les études qu’elle lui avait interdit de reprendre, les amis qu’elle lui avait empêchés d’avoir, les promesses enflammées qu’ils s'étaient faites à vingt ans, et la cage barbelée qui avait pourtant remplacé sa vie, une vie terne, brûlante d’ennui. Il détesta une dernière fois ses ongles trop rouges, ses déshabillés de mauvaise main, ses fautes de français, ses moues insipides. Son sourire, sa voix, sa personne. Il maudit ce cercueil qu’on recouvrait de terre, ces bras qui l’étreignaient, ces regards mouillés, cette cérémonie lugubre qui lui avait valu ses dernières économies. Il sentit son corps en feu sous sa peau, et bien qu’il sût qu’il l’emporterait avec lui dans la tombe, il eut envie de crier la vérité.
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Car une goutte d’arsenic avait suffi. Une goutte, même pas de quoi altérer le goût de la citronnade. Une goutte seulement pour emporter cette vie inconsistante, cette poupée de chiffon, cette enveloppe de frustration qu’était Doucette. Frustration qu’il ressentit jusque dans son crime, facile, sans effort. Une goutte…
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Non, Barthélémy n’était pas fait pour cette chose écoeurante qu’était l’amour.
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