mercredi 14 septembre 2011

Nénette & Quelques Rides.




On sera comme ça nous. Le corps tout cabossé, lui anobli par une une belle crinière grise, moi fidèle à mes mixtures colorantes, mais le front strié des épreuves du temps. Je le vois déjà, sa belle peau dorée tannée par les années, la barbiche un poil plus imposante, et son sourire qui brille encore, et pour toujours. J'imagine le contact que créera ma main fatiguée dans la sienne, sera-t-il le même? Comment ressent-on une peau froissée par le temps? Est-ce que chaque effleurement rappelle l'issue qui se rapproche? Ou bien se ressent-il en fait comme l'exponentielle de la somme de tous les effleurements passés? Y a-t-il une explication rationnelle à la mécanique de l'existence? Et si on frissonnait davantage, lorsque notre squelette ne tient plus vraiment en place? Si on ressentait plus la vie? 

Je nous vois, main dans la main, nos corps rapetissés de quelques centimètres assis tant bien que mal sur une banquette de métro, qu'un jeune couple d'amoureux nous aura gentiment laissée. Je vois mes yeux qui clignent, qui lisent et relisent les noms des arrêts qui défilent, je me vois oublier leur ordre, mais finalement je ne m'en sors pas si mal. Je le vois lui, son bras rassurant qui n'aura finalement jamais cessé d'entourer mes épaules, son regard un peu terni mais qui me perçoit plus fraîche, plus pimpante, plus jeune que je ne le serai jamais plus, et qui semble me dire à chaque instant: "Tu vois, on y est arrivé".

Où irons-nous, alors? Qu'aurons nous laissé derrière nous? Un mélange de nos ADN? Des pages de romans initiés par mes mains, inspirées par son parfum, sa douceur, sa perfection? Des bribes de voyages, des lieux, des époques, des circonstances? Combien de larmes pour combien d'euphories?

Je me vois ajuster la grosse monture de mes lunettes, plisser désespérément mes yeux lorsqu'il s'éloigne un peu trop, que sa silhouette se perd dans un brouillard flou. C'est encore et toujours lui qui ouvre la marche, qui couvre mon passage, qui rassure mes petits pas. J'imagine sur lui un grand manteau marine au col bien chaud, un joli couvre nez, un pantalon en tweed. Et je me demande si moi aussi, je porterai ces tissus, ces couleurs, ces formes universelles qui uniformisent les vieilles personnes. Je me demande si le goût, ou tout simplement l'envie d'avoir du goût se perd avec le temps. Y-a-t-il une lassitude? De l'apprêté, du sophistiqué? Ne revient-on pas à l'amour de la simple simplicité? Ne devient-on pas minimaliste? 

Qu'auront-ils inventé pour nous faire trembler? Jusqu'où la technologie sera-t-elle allée pour nous mettre à l'épreuve? Est-ce qu'on sera deux vieux grincheux, est-ce qu'on perdra un peu la boule? Je ne me vois pas désorientée. Je ne me vois pas seule. Je nous vois, riant de nous, riant du temps. Un rire pour chaque épreuve traversée. Des années donc à se tordre de rire, à tordre le cou au passé. Je nous vois user des mêmes surnoms, des mêmes intonations stupides. Je nous vois nous moquer du temps, manger des tagadas en cachette, sautiller bravement sur du Elvis, je nous vois commander italien, à la lumière d'une bougie, je vois ses petites rides qui s'illuminent, sa main qui serre la mienne, ma bouche peinturlurée qui envoie un baiser. Je nous vois jeunes, jusque dans nos sourires. Je nous vois fous d'amour, je nous vois libres.


(Je t'aime.)
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