dimanche 7 août 2011

Nénette S'y Recolle.

_ _


La fille qui n'existait que dans cette histoire.


Allez savoir pourquoi, c'est d'abord une main qui se dessine. Une main aux ongles bien coupés, aux phalanges qui se distinguent. Une main aux doigts fins, une main habile, surement. Oui je la verrai bien gribouilleuse mon héroïne. Ou peinturlureuse, une griffure à l'acrylique sur la joue droite, une large salopette tachée de craie déformant grossièrement son frêle petit corps de môme, plus petit que la moyenne. Quel age a-t-elle au fait? Combien d'années la mignonne? Je décide qu'elle en fait 14, mais qu'elle en pèse 25. Deux petits seins picotent sous sa gorge, un grain de beauté lui tatoue le bas des reins. Maintenant que la silhouette se trace, me voilà tentée de lui trouver un nom. Ou bien un pseudonyme, un sobriquet? Elle s'appelle Hortense Picorelle, dite «L'arachnéenne». Ainsi surnommée pour ses longs cheveux qui balaient presque le sol, mèche par mèche, tels les pattes de ladite bestiole en mouvement. Je la vois blonde, un peu pâlichonne, la bouche bien rose. Elle est plutôt jolie, mais a le menton en galoche. Et un parfum de riz-au-lait. Tiens, je ne lui donne pas de nombril, créons l'ambiguïté. Un peu comme si elle était née d'une rose, ou d'un bouquet d'orties. De toute façon je décrète que la gosse a grandi seule. Avec un air de petit garçon fâché, la raie sur le coté, de la terre sous les ongles. Hortense a les cheveux qui poussent trop vite, et le coeur qui bat trop fort. Les docteurs ont dit qu'elle ne vivrait pas vieille, la pauvre fleur. Ce qui m'arrange, car je n'ai pas envie de m'éterniser. Hortense est allergique au beurre de cacahuète, à la poudre d'escampette. Elle aime le chocolat chaud avec une pointe de cannelle, le pain perdu et le clafoutis aux cerise. Tout comme moi c'est juste, figurez-vous que l'inspiration ne jaillit pas inopinément de nulle part. Hortense n'a pas d'avis sur l'amour, mais elle s'est déjà glissée dans d'autres draps que les siens. Trois kits de literie différents, pour être exacte, ont déjà vu sa salopette tomber sur ses chevilles. Hortense aime sentir sa peau glisser sur une autre. Dans ces instants là, elle ressent un frisson caractéristique, chatouillant précisement aux deux tiers de la ligne qui s'étire entre son omoplate gauche et son épaule droite. Hortense donnerait tout pour ce frisson, car cette secousse lui rappelle qu'elle est encore en vie. La pauvrette sait bien qu'elle va mourir. Je m'étais jurée, pourtant, de ne rien lui en dire. Mais voyez-vous, j'avais cruellement besoin d'un peu de tragique pour décorer ces lignes. La fin est prévue dans trois jours, treize heures, sept minutes et dix-huit secondes. Un paragraphe devrait suffire, je présume._


En attendant son dénouement, Hortense mange des tartines au miel et boit du thé à la mente, un édredon de plumes sur les jambes. Sans doute s'estime-t-elle heureuse, la belle, de vivre les instants qui lui restent dans une histoire si confortable. Je l'observe dodeliner de la tête, certainement ravie par la douce odeur du thé fumant. Mais voilà qu'elle fronce les sourcils. Aurais-je oublié de préciser le beurre sur ses tartines? Hortense se lève, ses petites jambes fragiles la portent à peine. Quant à moi je tente de déterminer l'origine du problème. Y a-t-il un malentendu, ai-je mal orthographié un mot, commis une erreur de synthaxe? Hortense est toute nue et frissonnante, dans sa main scintillent les lames d'une paire de ciseaux à crans. Le crissement qui transperce le silence me transperce alors tout autant: sur le plancher git sa chevelure, sur le sol sont éparpillés les mots avec lesquels je me suis appliquée à la dépeindre. Que fait-elle, la malheureuse? Impuissante, j'observe ma marionnette saccager mon histoire. Hortense a les cheveux ras, rouges, le corps couvert de peintures de l'enfer, une main entre les cuisses, de l'autre elle mange du beurre de cacahuète à la cuillère. Je la vois qui se tord, qui gigote. C'est son petit corps tout entier qui s'est mis à faire la guerre. Elle proteste, la mignonne. Contre ces mots de fin qui sont écrit à l'encre, comme gravés sur son ventre. Il n'y a rien à faire, rien à dire. Pourtant elle fait, elle dit, elle crie son enfance difficile, ses envies d'être un garçon, l'extase qu'elle n'a trouvé qu'avec les filles. Le clafoutis qu'elle a vomi entre les lignes. Hortense Picorelle ne sait peindre que des cheminées qui fument, des volcans qui se rallument. Là voilà pourtant qui s'éteint, le souffle court. Ses petits bras frappent le vide, ses yeux s'élargissent de peur, pauvre amour. Agacée je vérifie l'écran de ma montre digitale: la petite veut partir en avance, soit, je la cloue donc d'un point final.
_
_
_ _
Rendez-vous sur Hellocoton !

0 commentaires - ajouter un commentaire: